Quel impact aura la « planification écologique » sur l’architecture de l’exécutif d’Emmanuel Macron ? Excepté l’idée de faire de la France une « grande nation écologique », le chef de l’État reconduit pour cinq ans à l’Élysée avec 58,5 % des voix, n’a laissé poindre aucun indice supplémentaire, dimanche 24 avril au soir, par rapport à son discours de Marseille.
« La politique des politiques »
Sept jours plus tôt, celui qui était encore candidat proposait que son prochain Premier ministre soit « directement chargé de la Planification écologique ». Deux ministres seraient sous ses ordres : le premier se chargerait de la planification énergétique (sobriété, renouvelables et nucléaire) ; le deuxième s’occuperait d’organiser la transition « dans chaque territoire », plus particulièrement dans les domaines des transports, de la rénovation thermique, la qualité « de l’eau », « de l’air » et « de l’alimentation ».
Le but : que ces trois ministres fassent de la transition écologique « la politique des politiques » afin qu’elle irrigue toute l’action publique, décrivait-il alors.
À la main de l’exécutif
Surgie dans l’entre-deux-tours, cette idée offre l’avantage à Emmanuel Macron de s’aligner sur le vocabulaire de La France insoumise, en empruntant un concept cher à Jean-Luc Mélenchon, troisième homme de la présidentielle. Autre bénéfice du concept, la planification écologique telle qu’elle a été présentée reste à la main de l’exécutif, qui pourra y mettre ce qu’il veut.
Par ailleurs, Emmanuel Macron veille à ne pas braquer la frange droite de son électorat, qu’il aurait pu décevoir en changeant de pied sur l’ISF climatique ou la taxation des surprofits pétroliers. Selon nos informations, la création de ces nouvelles taxes avait été proposée par plusieurs membres de la Macronie, mais le projet n’a pas trouvé grâce aux yeux du président sortant.
« Virage écolo »
« Ce n’est pas la première fois qu’Emmanuel Macron amorce un virage écolo pour montrer une inflexion forte », observe Léo Cohen, ancien conseiller de ministres de l’Écologie successifs. « À échéance régulière, il a posé des jalons comme pour être poussé à agir en matière d’environnement. Cela a été le cas avec le Haut Conseil pour le climat, le Conseil pour la défense écologique et la Convention citoyenne pour le climat. Est-ce que cette innovation méthodologique sera la bonne ? »
De l’avis de tous les connaisseurs des rouages ministériels contactés par Contexte, l’annonce d’Emmanuel Macron apparaît comme une bonne nouvelle, alors que le quinquennat qui s’ouvre est crucial pour permettre à la France de prendre sa part dans la baisse des pressions humaines sur la biosphère.
Ne plus seulement « verdir » les politiques
« Le temps n’est plus à la seule préoccupation d’intégration des enjeux environnementaux dans les politiques sectorielles », constate Lucien Chabason, vétéran des politiques publiques environnementales, conseiller à l’Institut du développement durable et des relations internationales, dans une note sur la gouvernance de la transition écologique parue le 14 avril. « Il ne s’agit pas seulement de “verdir” les politiques. L’idée de transition est beaucoup plus ambitieuse et vise des changements profonds qui ne concernent pas seulement les questions environnementales. » Elle exige « au niveau gouvernemental un engagement de chaque ministère et une coordination interministérielle serrée ».
Cet artisan de la loi littoral, ancien directeur de cabinet du ministre de l’Environnement Brice Lalonde, compare ce « défi organisationnel » à « celui de la modernisation du pays après la Libération », « de l’aménagement du territoire à partir des années 1950 », ou de « la gestion de la crise profonde et de longue durée issue du premier choc pétrolier de 1973 – 1974 ».
La fin du « grand ministère »
Confier la planification écologique au Premier ministre signe la fin du vaste ministère de la Transition écologique, dont l’organisation pensée lors du Grenelle de l’environnement de 2007 est jugée obsolète :
« L’ampleur du périmètre de ce grand ministère ne garantit pas […] l’harmonisation interne des politiques, comme on le voit par exemple avec le retard considérable du déploiement des énergies marines ou les difficultés croissantes du programme éolien terrestre pour l’exécution desquels le ministère dispose pourtant de toutes les compétences nécessaires : énergies renouvelables, biodiversité, paysage, planification spatiale, participation du public », critique Lucien Chabason.
« Depuis 2007, et même avant, je dis que le sujet du développement durable est un sujet par nature transversal, qui concerne tous les secteurs d’activité et politiques publiques, qui doit être porté par le Premier ministre », abonde Michèle Pappalardo. Pour celle qui fut notamment directrice de cabinet de trois ministres (Michel Barnier, Nicolas Hulot et François de Rugy), « la création d’un gros ministère n’a pas résolu ce problème ».
« Si le développement durable est porté par un ministre, alors c’est seul contre les autres – Bercy, Agriculture, Santé… – et donc on n’arrive pas à avancer. » Surtout lorsque la fonction est aussi éphémère : en quinze ans, dix ministres ont été nommés à la tête du « ministère de l’Impossible ».
Impasses interministérielles
Cette transversalité permettrait de résoudre l’impasse que constituent les arbitrages interministériels tels qu’ils sont actuellement organisés, et que tous les observateurs appellent à dépasser. Elle est décrite par Léo Cohen dans son instructif « 800 jours au ministère de l’Impossible », publié en mars (éditions Les Petits matins).
« Leur mode de fonctionnement est inopérant parce que ce sont des instances de soustraction », détaille-t-il à Contexte. « À partir du moment où vous créez un espace dans lequel chaque département ministériel est invité à dire ses encouragements ou ses réserves, et que dans 90 % des cas les ministères viennent exprimer leurs réserves, mécaniquement vous favorisez le maximum de résistances et les conditions pour qu’à la fin, il ne reste plus que l’os, et encore » d’une politique publique.
Personnes et architecture
Mais faire évoluer vraiment la situation « suppose un changement très important », reprend Michèle Pappalardo : « que le Premier ministre lui-même soit très convaincu du sujet ». Voire peut-être aussi le président de la République, surtout lorsqu’il est « jupitérien ».
« Les personnes sont plus importantes que l’architecture », abonde un ancien du cabinet de Nicolas Hulot, prise de guerre écolo du début du premier quinquennat Macron. « Malgré un ministre plutôt fort [ce que nuancent toutefois bon nombre d’observateurs (relire notre article)] les sujets qu’on a pu “perdre” étaient liés à un problème d’arbitrage, face à Alexis Kohler [le secrétaire général de l’Élysée] et au cabinet du Premier ministre. Dans l’organisation interne à Matignon, on a choisi de prioriser les conseillers économie ou énergie, par rapport aux conseillers écologie, qui étaient hyper faibles. »
Équipe dédiée
Faire du Premier ministre le garant des objectifs environnementaux « nécessite la mise en place d’une équipe administrative dédiée pour le soutenir », insiste Marine Braud. Dans une note remarquée, l’ex-conseillère de Barbara Pompili suggérait la création d’un secrétariat général à la transition écologique pour la rendre « beaucoup plus générale, mieux coordonnée et plus inéluctable » dans l’appareil d’État. « Sans cette équipe, la promesse risque d’être une coquille vide. »
En plus d’établir une doctrine intergouvernementale, cette administration obligerait mécaniquement le futur Premier ministre à consacrer une partie de son temps disponible à la « planification écologique ». Or le vaste périmètre de ses compétences l’empêche aujourd’hui de le faire, veulent croire plusieurs praticiens des cabinets ministériels.
« Mais en dehors de cet effet psychologique indirect, il n’y a rien qui garantisse l’atteinte de ces objectifs, ni qu’on se mette en capacité de les mettre en œuvre », tempèrent-ils immédiatement.
Planification
Que faut-il entendre par « planification », ce concept qui laisse « dubitative » Michèle Pappalardo ? La question demeure. L’ancienne présidente de l’Ademe (2003 – 2008) rappelle la multitude de plans en vigueur en France : plan climat, plan national d’adaptation au changement climatique, plan biodiversité, programmation pluriannuelle de l’énergie… « On parle de planification comme si on n’en faisait pas. En soi, cela n’a rien d’innovant. »
« La perspective, derrière le plan, c’est qu’il suffit d’écrire les choses pour qu’elles soient faites. Cela renvoie au Commissariat général au plan, qui existait dans un contexte très différent. »
« Favorable à l’idée d’un Premier ministre fortement mandaté sur ces transformations », une autre parfaite connaisseuse des arcanes ministériels fait part de son « petit doute » sur la notion de planification :
« Les dernières années nous ont plutôt montré qu’il fallait se montrer très résilient, mais qu’on ne prévoyait pas vraiment les chocs systémiques auxquels nous sommes confrontés. Depuis Lehman Brothers jusqu’au Covid. »
« La planification n’est pas un mantra. Derrière il faut de la volonté et des moyens », abonde un autre routier des politiques publiques environnementales. En témoigne le rapport annuel, à la tonalité pessimiste, de l’Autorité environnementale, qui dépend du ministère de la Transition écologique. L’AE y étrille les plans et projets aux « conséquences irréversibles » qui continuent de lui être « invariablement présentés », en total décalage avec l’urgence environnementale.
Quid de l’énergie ?
Enfin, la perspective d’un Premier ministre dédié à la planification écologique ouvre un vaste champ de questions. D’abord sur la place concrète de l’énergie, qui serait prépondérante dans l’architecture gouvernementale. Le futur ministère de la Planification énergétique a-t-il vocation à absorber l’Industrie, à se rapprocher de Bercy ? Si oui, avec quelles administrations ? Le climat dépendra-t-il de l’énergie, ou bien directement du Premier ministre, comme a pu le dire Emmanuel Macron lui-même, dans une tournure ambiguë.
« Est-ce que le ministère de la Planification énergétique va écologiser un morceau de Bercy, ou “économiser” un morceau de Roquelaure ? Le premier scénario est enthousiasmant, le deuxième l’est un peu moins pour des raisons de signal politique et de contradiction entre les objectifs [sobriété contre production, nucléaire contre renouvelables] », reprend Léo Cohen. « C’est pour cela que la question du patron est déterminante. »
« Bercy n’est pas construit pour arbitrer en défaveur de certaines filières, de l’emploi, de la croissance », tempère un connaisseur du « Paquebot ». Ce qu’implique précisément l’un des volets de la planification écologique, par exemple pour organiser la fin prévisible des stations essence, si les objectifs d’électrification du parc automobile devaient être atteints. Le ministère de l’Économie « s’y est mis, mais uniquement sous l’angle des filières, du nucléaire, des batteries… Pas de la sobriété ».
Opérationnalité
Nombreuses sont les questions restant en suspens. Quelle place occupera la biodiversité ? Trouvera-t-elle sa place dans le ministère chargé de la planification territoriale, alors que ce thème implique une approche par espèce, et pas seulement locale, selon un habitué de l’administration ? Où se situera l’Agriculture, un ministère déjà critiqué dans les cercles environnementalistes pour ses arbitrages à rebours de la « transition », avant même l’irruption de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine, qui devraient encore plus favoriser les choix productivistes ? De qui relèveront les négociations européennes et internationales hors énergie ? Par quel mécanisme, au-delà des personnes et des administrations, garantir que les objectifs de transition écologique soient tenus, y compris au Parlement ? Plus largement, comment s’assurer de l’acceptabilité sociale des futures politiques et d’embarquer les milieux économiques ?
« On n’est pas entrés dans un tel degré d’opérationnalité, au-delà de la philosophie globale », indiquait un représentant de l’équipe de campagne du président candidat, au lendemain du débat d’entre-deux-tours. « Il y a plusieurs options en discussion », concède un autre proche d’Emmanuel Macron, promettant des détails une fois « resserré le champ des possibles ».