Officiellement, tout est sous contrôle. Passé la sidération de la dissolution, les têtes pensantes de la campagne législative du Rassemblement national assurent s’être réunies « en petit comité » pour bûcher sur le programme de leur futur gouvernement. Officiellement, les référents thématiques de la campagne de 2022 ont tous été « remobilisés ». Les parlementaires européens Thierry Mariani et Philippe Olivier sur les transports ; les députés Jean-Philippe Tanguy et Alexandre Loubet sur les dossiers liés à l’énergie ; l’aspirant député Andréa Kotarac et l’eurodéputée Mathilde Androuët sur les questions d’écologie.
Officiellement donc, le chantier avance. « Il n’y a aucun renoncement dans notre projet », certifie le député Alexandre Loubet, passé du pilotage de la campagne des européennes à celle des législatives.
Dossiers « climat » : le grand vide
À l’épreuve des faits pourtant, le vernis s’érode. Et le RN ne semble pas avoir comblé l’impréparation de ses troupes sur les volets environnementaux. Questionnée sur l’avancée des travaux programmatiques, une figure du parti, parachutée dans une circonscription sans député lepéniste, coupe court à la conversation : « Je préfère ne pas vous répondre, il reste peu de jours de campagne alors… je fais attention. » L’esquive est monnaie courante pour éviter d’évoquer le fond des dossiers. « Parlons-en après le 7 juillet », se dérobe un conseiller de Marine Le Pen.
Fraîchement réélue au Parlement européen, Mathilde Androuët réfute même avoir reçu la consigne de replonger d’urgence dans les chapitres liés à l’écologie. « On a davantage les mains dans le cambouis que dans les plantes », ironise cette proche de Jordan Bardella. Propulsée de la 22ᵉ place de la liste d’extrême droite à la 4ᵉ entre 2019 et 2024, elle confesse même ne pas savoir « quel est le plan prévu » par le dirigeant du RN en matière d’environnement, s’il accédait à Matignon.
TVA sur les carburants : le plan A, le plan B et la libre interprétation du droit européen
La présentation à la presse des priorités gouvernementales du RN, le 24 juin, n’a pas permis d’y voir plus clair. Et pour cause : sauf de manière indirecte (le respect de l’accord de Paris est inscrit dans le programme), les sujets liés au climat, aux mobilités ou à la biodiversité ne figurent pas, à ce stade, à l’agenda des réformes d’un hypothétique gouvernement d’extrême droite. « On n’a pas le temps de parler de ça ! », balaie un membre du premier cercle lepéniste, à l’issue de la conférence.
Même la mesure phare du Rassemblement national – baisser la TVA sur les carburants de 20 % à 5,5 % dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative en juillet – fait l’objet de discours fluctuants au sein du parti. Un cadre RN assurait ainsi, il y a quelques jours, qu’il suffirait de renégocier la directive européenne sur la TVA, révisée en 2022. Cette directive autorise les États membres à envisager des taux réduits de fiscalité sur un nombre limité de produits, excepté… les carburants. Pour parvenir à ses fins, la France devrait soit obtenir un changement des textes européens, soit convaincre la Commission européenne du bien-fondé de sa politique, soit entrer en conflit avec Bruxelles…
Jordan Bardella semble privilégier le deuxième scénario : « Pas besoin de réformer des directives européennes ! Il y a quelques mois, la Pologne a baissé la TVA sur ses carburants. Ça n’a posé aucune difficulté à la bureaucratie européenne », a-t-il assuré. Une affirmation que dément une source au sein de la Commission européenne. Cette dernière assure que la Pologne était en infraction et que, rappelée à l’ordre, elle est finalement rentrée dans les clous.
Le 24 juin, en marge de la conférence de presse, deux députés – Jean-Philippe Tanguy et Alexandre Loubet – semblaient déjà s’y préparer et esquissaient une troisième piste. « D’ici à septembre, si on voit que la Commission ne bouge pas ou qu’on n’a pas le temps de négocier, on pourra agir sur la TICPE [taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques, Ndlr] », détaille Alexandre Loubet. Une idée qu’avait récemment évoquée Marine Le Pen auprès du Monde, rompant ainsi avec ses positions passées.
ZAN : le RN s’essaie au « en même temps »
« En interne, ce n’est pas simple », admet le député sortant Pierre Meurin, qui se définit comme « automobiliste militant ». « On n’a pas tous la même position sur le sujet. C’est pile une des questions où l’on n’est pas raccord. Certains sont contre le ZAN [zéro artificialisation nette], radicalement, d’autres pour. »
Le député a planché sur le sujet « dans l’optique de notre travail parlementaire de l’époque » avec le député Hervé de Lépinau ou la conseillère parlementaire Sophie Dumont, candidate en Côte-d’Or. En juillet 2023, le groupe d’extrême droite a voté en faveur de la loi qui assouplit certes la mise en œuvre du ZAN, mais sans porter atteinte à sa philosophie. Durant l’examen du texte, il avait demandé de pouvoir exclure de l’application du ZAN toutes les communes de moins de 10 000 habitants, soit la quasi-totalité des communes françaises.
Pour Pierre Meurin, le ZAN est une norme « technocratique qui part d’une bonne idée, moins artificialiser les sols, mais cette vision géométrique, uniforme de l’aménagement du territoire pénalise les élus locaux, les entreprises, et les particuliers ». Plutôt que « faire du ZAN », l’élu propose de « revitaliser nos cœurs de ville » en faisant « moins de grandes surfaces, moins de grands parkings, et pourquoi pas supprimer l’artificialisation dans certaines zones commerciales qui ne servent à rien ».
« Clairement, le sujet du ZAN me passionne, il est vertigineux et un peu titanesque », dit encore Pierre Meurin. « Je n’ai pas à ce stade la solution miracle. »
Lors de sa conférence de presse, Jordan Bardella n’a pas dit vouloir en finir avec la lutte contre l’artificialisation, mais a renvoyé au Parlement le soin de « déterminer les modalités de cet assouplissement, en association avec les élus locaux et les collectivités ». Une position bien moins radicale que celle de Marine Le Pen, qui voulait, deux ans plus tôt, « lutter contre l’artificialisation des terres agricoles » et interdire « l’utilisation de terres agricoles pour des projets d’urbanisation ».
Énergies renouvelables : plus de démantèlement éolien, fin du moratoire solaire
En cas d’arrivée au pouvoir, Jordan Bardella lancerait-il un plan de démantèlement de l’éolien, comme le voulait Marine Le Pen pendant la campagne présidentielle de 2022 ? Posée lors de la conférence de presse du président du Rassemblement national, la question a été interrompue par un grand « nooon » rigolard de l’intéressée, au premier rang, face à son poulain.
Le programme présidentiel de Marine Le Pen mentionnait explicitement un « moratoire sur l’éolien et le solaire » et un « démantèlement progressif des sites [éolien] en commençant par ceux qui arrivent en fin de vie ». La candidate à la présidentielle avait bien dit vouloir lancer « un grand chantier pour […] démonter » les parcs éoliens.
« Nous souhaitons, et nous maintenons cette proposition, qu’il y ait un moratoire sur toute nouvelle construction de chantier éolien », a répondu Jordan Bardella le 24 juin. « Évidemment, on ne va pas démonter les éoliennes qui sont aujourd’hui en activité, sauf lorsqu’elles arriveront à terme. » Le moratoire portera « surtout sur l’éolien en mer », nuance Jean-Philippe Tanguy en marge de la conférence de presse.
Reste que le mot « moratoire » ne figure pas dans le programme de gouvernement du candidat en lice pour Matignon. La filière solaire fait même un retour en grâce dans la bouche de Jordan Bardella : « Nous entendons […] permettre un cadre favorable, c’est-à-dire des droits de douane au niveau européen, pour permettre de recréer une filière photovoltaïque en France. »
Toutefois, accélérer le solaire « n’est pas un objectif prioritaire », tempère finalement Jean-Philippe Tanguy. Mais « on ne va pas lutter contre si les ménages et les entreprises veulent installer des panneaux solaires ».
Construire des EPR, mais quel modèle ?
En matière d’énergie, Jordan Bardella promet de « refaire du nucléaire un élément majeur, fondamental et structurant du mix énergétique ». Le RN prévoit en ce sens pas moins de vingt réacteurs nucléaires d’ici à 2043. « Une première tranche de cinq paires dont on projette la livraison entre 2033 et 2038. […] puis une deuxième tranche de cinq paires entre 2038 et 2043 », précise Jean-Philippe Tanguy. Il ne s’agit selon lui que d’un décalage de deux ans comparé au programme de Marine Le Pen, en 2022, étant donné que le gouvernement « n’a rien foutu ces deux dernières années », assène-t-il.
Marine Le Pen prévoyait bien, durant la campagne présidentielle de 2022, de construire vingt réacteurs : cinq paires d’EPR mis en service en 2031, puis cinq paires d’EPR2 pour 2036 (relire notre brève). Sauf que cette fois, le choix du modèle est bien moins clair. Interrogé par Contexte, le directeur de campagne du RN pour les européennes, Alexandre Loubet, affirme que le parti poursuivra les travaux engagés sur le programme EPR2 tout en « accélérant ».
Ce que contredit quelques minutes plus tard Jean-Philippe Tanguy, le spécialiste des questions énergétiques au RN. « Le gouvernement a choisi [pour son programme de relance du nucléaire, Ndlr], un réacteur sur étagère : l’EPR2. Nous, nous préférons lancer des modèles EPR », comme celui construit à Flamanville 3.
« C’est sûr qu’on gagne[rait] du temps en prenant des modèles qui sont aujourd’hui construits plus ou moins dans les temps au Royaume-Uni, que des modèles qui n’ont jamais été construits. Je vous ferais remarquer que le design des EPR2 n’est pas fini et qu’il est reporté à on ne sait quand », ajoute-t-il.
Face aux contradictions avec son collègue Alexandre Loubet, Jean-Philippe Tanguy finit tout de même par nuancer ses propos et affirme que le RN souhaite développer « le réacteur le plus rapidement déployable et opérationnel ». Il continue par ailleurs d’affirmer que le groupe EDF est en capacité de relever le défi industriel induit par le programme de son parti, et même « très content » de cette perspective.
Le RN « espère » enfin pouvoir construire une troisième tranche de cinq paires de réacteurs de quatrième génération « à partir de 2040 ». Et des petits réacteurs modulaires (SMR en anglais) en parallèle.
Rénovation du bâtiment : du prêt à taux zéro à zéro proposition
Comme pour le ZAN, les interdictions liées au diagnostic de performance énergétique, introduites dans la loi climat et résilience, « freinent le marché immobilier […] et restreignent l’accès à la propriété », a assuré Jordan Bardella le 24 juin.
L’eurodéputé a dit vouloir « supprimer » ou « restreindre » ces interdictions, « à [son] sens excessives ». Une proposition qui revient à enfermer les plus modestes dans la précarité énergétique. Sollicitée sur ce point par Contexte, l’eurodéputée Mathilde Androuet rétorque que la consommation d’énergie entre dans les critères de décence d’un logement.
« Nous voulons que les citoyens respirent », résume-t-elle. « À partir du moment où le DPE devient un boulet pour tout le monde, il faut revoir le système. »
Sauf qu’en l’état, le parti ne propose pas d’autre solution. Tout juste le programme de gouvernement de Jordan Bardella prévoit-il « un accompagnement pragmatique des rénovations de logements en lien avec les professionnels ». Il fut un temps où le parti lepéniste était plus allant en la matière.
En campagne pour la présidentielle 2017, Marine Le Pen proposait un prêt à taux zéro de la Banque de France « pour financer les travaux d’isolation des particuliers ». Il s’agissait de l’un de ses principaux axes pour diviser la consommation d’énergies fossiles par deux en vingt ans. En 2022, dans son livret « famille », elle entendait « instaurer un prêt public à taux zéro pour les jeunes couples » désireux d’accéder à la propriété ou de rénover leur logement, sous réserve d’une moyenne d’âge inférieure à 30 ans… et que l’un des membres du couple soit français.
Sur les transports : le nécessaire « diagnostic », un fourre-tout bien pratique
Expurgés de la liste des urgences, les dossiers transports semblent, eux aussi, faire l’objet d’un pilotage approximatif. Depuis sa mairie de Villers-Cotterêts (Aisne), Franck Briffaut – lequel a alimenté la feuille de route pour la présidentielle de 2022 – assure continuer d’être « le référent » du parti sur les enjeux de mobilités. Questionné sur la vision du président du RN, ce militant historique du Front national renvoie à l’élaboration – vague – d’un « schéma d’aménagement du territoire au niveau national ». Le RN souhaite-t-il donner la priorité au ferroviaire, aux transports en commun ? « Il ne faut pas avoir de vision idéologique sur le sujet », esquive un autre familier du sujet. Franck Briffaut s’en excuserait presque : « Les campagnes électorales ne sont pas le meilleur moment pour un travail de fond. »
La voiture, ce totem de notre « civilisation automobile », selon un membre du premier cercle lepéniste, continue, de son côté, de bénéficier d’une place de choix. Au RN, sa défense symbolise la fin de « l’écologie punitive ». Sans échapper à certaines contradictions. À l’échelon européen, ainsi qu’il l’a martelé pendant la campagne des européennes, Jordan Bardella espère revenir sur l’interdiction de commercialiser des voitures neuves qui ne sont pas zéro émission en 2035. « Cela nécessitera des négociations avec Bruxelles. A minima, on espère un report de l’échéance », édulcore déjà un proche conseiller.
Dans l’intervalle, le Rassemblement national va-t-il aller jusqu’à supprimer tout mécanisme de soutien à l’achat de véhicules électriques, alors que l’industrie automobile a déjà amorcé ce virage ? Les discours varient autant que les interlocuteurs. « Le retrait des bonus écologiques n’est pas la meilleure piste », tranche un conseiller de Jordan Bardella, quand un proche de Marine Le Pen fustige « l’économie subventionnée », « cette politique des chèques qui ne marche pas ».
La promesse de Marine Le Pen, en 2022, de nationaliser les autoroutes est, quant à elle, absente des priorités affichées par le parti. « Ça reste dans le programme mais la temporalité reste à arbitrer », assure le député Alexandre Loubet à Contexte. Et la ligne n’est pas claire. « Nous avons clairement dit que nous souhaiterions renationaliser une partie du réseau », affirme Franck Briffaut. Pierre Meurin assure de son côté que le parti travaillera à une « mise en régie » des autoroutes plutôt qu’une nationalisation. Et sous condition : « avec prudence, intelligence, et sans que ça obère les finances publiques. Il faut faire une étude d’impact des coûts. […] À partir du moment où l’on se prépare à gouverner, on ne peut pas annoncer de mesure incantatoire ».
Pérennité questionnée d’un ministère de l’Écologie
Avec des dossiers environnementaux tout en bas de la pile des priorités, la pérennité d’un ministère de l’Écologie sous un gouvernement RN, est, en tout cas, questionnée. « Pour ne pas rester dans sa bulle, déconnectée, l’écologie doit être une sorte de ministère transverse » accolé à d’autres ministères, comme l’économie, l’industrie et l’aménagement du territoire, estime l’eurodéputée Mathilde Androuët. « L’environnement, c’est une philosophie générale », complète un proche de Marine Le Pen persuadé que « Jordan l’appliquera partout ». Ou nulle part.