« Beaucoup reste à faire. »
Le 17 juillet, lors de la passation de passation de pouvoir avec François de Rugy, la nouvelle ministre de la Transition écologique a tempéré le bilan flatteur que venait de dresser son prédécesseur d’une présence de dix mois au 244, boulevard Saint-Germain.
Estimant avoir « agi », l’ex-ministre démissionnaire a par exemple mentionné la « fermeture irréversible » des quatre dernières centrales à charbon françaises et celle de la centrale nucléaire de Fessenheim, qui restent pourtant à mettre en œuvre.
« Je mesure l’ampleur de la tâche qui m’attend, cela ne me fait pas peur », a-t-elle repris, l’illustrant par sa présence au Sénat, « dans quelques minutes, pour défendre le projet de loi énergie climat ». À mi-chemin de son examen, le texte est laissé en jachère par son prédécesseur, dans une configuration inédite pour le pouvoir exécutif.
« Super ministère »
Élisabeth Borne hérite d’un « super ministère », conservant ses dossiers transports tout en récupérant ceux de la vaste « transition écologique et sociale ». Une configuration inédite depuis Jean-Louis Borloo, premier et dernier ministre d’État (2007-2010) à concentrer l’énorme périmètre de ce format issu du Grenelle de l’environnement.
Un décret paru au JO le 18 juillet lui retire toute compétence sur la passation du contrat de service public pour exploiter le CDG Express. En octobre 2018, Elisabeth Borne s'était déjà déportée de ce dossier en tant que ministre des Transports et ancienne P-DG de la RATP. La régie était candidate - et l'a d'ailleurs emporté - à l'appel d'offre pour l'exploitation de la liaison. Le contrat doit encore être formellement signé. C'est le Premier ministre qui se chargera de ce dossier.
Le tout pourtant sans conserver le titre de ministre d’État. Une autre ministre femme a connu ce sort : Nathalie Kosciusko-Morizet, simple ministre pendant un an, après le départ de l’homme politique centriste.
Renforts
Pour l’heure, nulle question de secrétaire d’État pour la seconder sur les questions de mobilité. Pour nombre d’observateurs, la tâche s’annonce titanesque, voire impossible. Sauf à changer les règles de limitation du nombre de personnels dans les cabinets ministériels imposées par Emmanuel Macron au début de son quinquennat – dix conseillers pour un ministre, huit pour un ministre délégué (ce qu’était Élisabeth Borne jusqu’au 16 juillet) et cinq pour un secrétaire d’État.
Plusieurs parlementaires doutent donc de la pérennité de cette double attribution. Selon ceux que nous avons interrogés, il semble acquis qu’Élisabeth Borne portera a minima le dossier transports jusqu’à l’adoption de sa loi d’orientation des mobilités. Ensuite, la question pourrait être reposée. « Cette LOM, il va falloir la porter sur le terrain, la faire vivre, ce qui demandera du temps », pointe un député.
Cabinets dans le flou
Seule certitude, le conseiller communication et le chef de cabinet de François de Rugy plient bagage. Élisabeth Borne emmènera vraisemblablement son propre conseiller presse, Aymeric Chassaing, et son chef de cabinet, Aymeric Lang.
Du côté des directeurs de cabinet, Guillaume Leforestier a rejoint le cabinet Transports le 1er juillet tandis que Jack Azoulay sera resté… un jour chez François de Rugy, après le limogeage express de Nicole Klein. Guillaume Leforestier pourrait néanmoins être l’homme de la situation : bon connaisseur des dossiers budgétaires, il a été directeur de cabinet adjoint de Ségolène Royal lorsqu’Élisabeth Borne était elle-même la directrice de cabinet, avant de la remplacer lorsque celle-ci a pris la tête de la RATP. Quant à l’actuel directeur de cabinet adjoint de la ministre, Stéphane Daguin, ex-préfet arrivé en février, il n’est initialement pas un spécialiste des transports, mais un bon connaisseur des territoires.
Solide expérience
La nouvelle ministre de la Transition écologique a mis en avant sa parfaite connaissance des rouages ministériels : ministre déléguée aux Transports de Nicolas Hulot puis de François de Rugy, elle avait été auparavant directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l'Écologie en 2014. Cette dernière est d'ailleurs la seule locataire de l’hôtel de Roquelaure avec laquelle Élisabeth Borne ait directement travaillé à ne pas avoir été citée par la nouvelle ministre lors de la passation de pouvoir. Cette dernière avait notamment co-piloté les deux premières lectures de la loi de transition énergétique.
La polytechnicienne et ingénieure des Ponts, qui peut parfois être croisée dans le métro, est reconnue pour sa capacité à appréhender des dossiers techniques et complexes, au point parfois d’être perçue comme trop « techno ».
« Ce qui est sûr, c’est que les dossiers vont être bien relus. Elle ne laisse rien passer », note un praticien des arcanes ministériels.
Peser
Si elle a défendu la mobilité « propre » et les « transports du quotidien » contre le tout-TGV, sa capacité à peser dans les arbitrages est mitigée. Elle a ainsi réussi à obtenir une enveloppe conséquente pour un plan vélo en septembre 2018, saluée par les associations. Elle a également arraché, après une intense lutte, les financements qu’elle réclamait depuis des mois pour financer les infrastructures. Mais elle a par exemple dû renoncer au caractère obligatoire du forfait mobilité durable, qu’elle défendait publiquement.
Pour arriver à ses fins, la ministre s’appuie largement sur les élus locaux et les parlementaires. Avec ses discrets encouragements, ce sont eux qui sont montés au front pour rejouer des matchs sur des arbitrages qu’Élisabeth Borne avait perdus à Matignon concernant la LOM.
Méthode
Au sein des commissions du Développement durable du Sénat et de l’Assemblée comme des associations d’élus, même l’opposition ne tarit pas d’éloges sur sa méthode, son écoute et sa maîtrise des dossiers. Les parlementaires de tout bord apprécient la grande attention qu’elle accorde aux deux Chambres. Elle a aussi beaucoup travaillé avec les entreprises et associations du secteur dans un esprit de « co-construction » qu’elle ne cesse de vanter, ce qui est collectivement estimé.
Lors de la passation de pouvoir, elle a indiqué vouloir poursuivre dans cette voie.
« Défendre ses dossiers techniquement, c'est parfois insuffisant pour convaincre ou pour passer en force, note une très bonne connaisseuse de la vie de cabinet. Il faut qu’elle s’appuie davantage sur ses alliés hors technostructure. Elle sait le faire du côté de certains élus, mais doit se chercher des alliés du côté des ONG ou des chercheurs. »
SNCF et maintenant EDF
Outre la LOM, la délicate réforme de la SNCF, qu’elle a pilotée, a facilité sa nomination express à la tête du ministère de la Transition écologique, comme l’a salué Gilles Le Gendre, patron du groupe LRM à l’Assemblée.
Un fait qui n’a pas échappé aux syndicats, dont la fédération CGT des mines et de l’énergie, mobilisée contre le projet de restructuration d’EDF, auquel devra aussi s’atteler la ministre, en plus du reste :
« Après la découpe de la SNCF pour la mise en concurrence du rail, c’est certainement l’accélération du marché de l’énergie qui est visée par M. Macron » avec cette nomination. « Il est fort probable que Mme Borne ne dialogue pas plus avec les organisations syndicales, et notamment la FNME CGT, que son prédécesseur. »