Combien coûte un mégawattheure d’électricité d’EDF ? Dans le cadre du vaste chantier en cours de la régulation nucléaire, cette brique est indispensable pour déterminer le niveau de prix qui permettra à EDF de couvrir ses coûts de production, d’assurer la sûreté de ses centrales et de se rémunérer. Contexte a eu accès au rapport « très confidentiel » de 239 pages à en-tête de la Commission de régulation de l’énergie, sorti à neuf exemplaires numérotés pour éviter les fuites, qui répond à cette question.
Très attendue sur le sujet, la CRE joue sa réputation à Bruxelles dans le cadre des négociations avec les autorités européennes de la concurrence, qui ont repris officiellement le 16 juillet : l’autorité administrative indépendante est-elle capable de « challenger » le puissant opérateur électrique français ?
« La priorité absolue est de donner de la crédibilité au projet » de régulation du nucléaire du gouvernement, avait affirmé Jean-François Carenco le 9 mars. « Il en va de la position de la France à Bruxelles. »
Signée par l’ex-ministre de la Transition écologique Élisabeth Borne et le ministre de l’Économie Bruno Le Maire, la lettre de mission du 19 novembre 2019 annexée au rapport demande au président de la CRE, Jean-François Carenco, une « expertise des coûts du parc électronucléaire existant et de la juste rémunération à retenir dans sa future régulation économique ».
Cette régulation « a vocation à inclure dans son périmètre la totalité des actifs du parc électronucléaire existant au moment de sa mise en œuvre, y compris Flamanville 3 », écrivent les deux ministres. Ils espèrent pouvoir remplacer l’Arenh avant 2025 « si les conditions le permettent, c'est-à-dire si un accord avec la Commission européenne sur la nouvelle régulation » est trouvé. L'accès régulé à l'électricité nucléaire historique, qui permet aux concurrents d'EDF d'acheter 100 TWh d'électricité nucléaire au prix de 42 €/MWh, expire en effet à cette échéance.
Le coût de l'électricité nucléaire d'EDF : 48,36 €/MWh
Formulé lors d’une audition le 9 avril devant le collège de la CRE, le coût de la production nucléaire selon EDF est de 53 €/MWh. Soit un niveau supérieur à celui de 48,36 €/MWh, retenu par le régulateur de l’énergie. La CRE ne se prononce pas sur la « juste rémunération d’EDF », qui figure pourtant dans l’intitulé de la lettre de mission, ni sur les principes clés du projet soumis à consultation par l’administration (relire notre dataviz et notre article).
Ce chiffre de 48,36 €/MWh est établi « dans l’éventualité d’un démarrage de la régulation en 2025 », pour la période 2025-2029, et sur la base d’une production annuelle moyenne de 370 TWh.
Nombreux sont les éléments expliquant cet écart entre le chiffre d'EDF et celui de la CRE. Cette dernière retient ainsi un coût moyen du capital de 7 %, contre 8,6 % pour l'électricien. Cette différence de taux déterminant la rémunération des capitaux investis a un impact à la baisse de - 2,42 €/MWh sur le prix moyen du nucléaire de 2022 à 2026.
Déchets et combustible
EDF et le régulateur sont également en désaccord sur les « engagements de long terme » de l’électricien, c’est-à-dire les charges liées au démantèlement et à la gestion du combustible usé. EDF chiffre ce poste à 3,50 €/MWh, estimant que les tarifs n'ont pas permis de couvrir tous les coûts en la matière (cf. citation originale ci-contre).
Pour EDF, « les provisions relatives aux engagements nucléaires de long terme figurant dans les comptes ne peuvent être considérées avoir été payées en totalité par les clients passés via les tarifs, dès lors que ceux-ci n’ont pas couvert tous les coûts passés ».
Un point de vue que conteste le régulateur, avec un impact de - 2,31 €/MWh sur le coût du nucléaire : l’électricien devra prouver que « sur l’ensemble de la période passée, ses recettes d’activité étaient insuffisantes pour couvrir l’ensemble de ses coûts ainsi qu’une rémunération normale ».
Les conséquences de Flamanville 3
Enfin, EDF paiera bien les conséquences du fiasco de l’EPR de Flamanville dans la future régulation. Celle-ci « n’a pas vocation à couvrir la totalité du risque industriel d’EDF », souligne la CRE.
« La désorganisation globale du chantier » fait perdre près de 3 milliards d’euros à la valeur nette comptable du futur EPR, « à terminaison » en 2023. Soit 13,341 milliards d’euros pour la CRE, là où EDF chiffre le chantier à 16,218 milliards d’euros.
Cela a pour conséquence de réduire de 0,52 €/MWh le coût de ce poste, quand l'électricien chiffre à 3,70 €/MWh l'impact du projet (cf. ci-contre).
3,30 €/MWh au titre de la rémunération du capital investi, et 0,40 €/MWh au titre de la dotation aux amortissements.
« Les surcoûts qui relèvent directement des modalités inappropriées d’organisation et de gestion du projet par EDF doivent être exclus de la base d’actifs régulés », dont la valeur dimensionne le revenu autorisé.
Ainsi, le régulateur ne prend pas en compte les surcoûts liés à « l’augmentation des exigences de l’ASN », à la « sous-estimation du devis initial » ou à « la nature de tête de série » de Flamanville 3.
En revanche, « la part non reconductible » sur un futur EPR « des surcoûts liés aux délais ne doit pas être rémunérée » et fait perdre 1,2 milliard d’euros de valeur au réacteur – soit 603 millions d’euros de surcoûts contractuels et 597 millions d’euros de surcoûts d’ingénierie.
La hausse des coûts de portage financier causée par les « importants retards » fait perdre 937 millions d’euros supplémentaires. Et la renégociation des « quatre principaux contrats » avec des prestataires du chantier, relevant « d’un mode de gouvernance inapproprié par EDF » fait perdre 582 millions d’euros à la « base d'actifs régulés ».
Réforme des retraites
Plus marginalement, EDF chiffre à 1,40 €/MWh l'impact des provisions constituées à la suite de la réforme des retraites de 2004, concernant les personnels au statut des industries électriques et gazières, ce que ne conteste pas la CRE, pour l'essentiel.
« Au-delà de ce cadre de régulation, se pose également la question des revenus annexes qu’EDF peut tirer de son parc nucléaire », signale la CRE, mentionnant la valorisation de la capacité, l'optimisation horosaisonnière de la production et la contribution aux services système. L'autorité administrative se dit « prête à faire des propositions ».