Comment financer six nouveaux réacteurs EPR alors qu’EDF est déjà lourdement endettée ? Depuis plusieurs mois, EDF et cinq administrations de Bercy et du ministère de la Transition écologique (cf. ci-contre*) discutent « financement, régulation et portage » de la construction de trois paires du futur modèle d’EPR, comme esquissée par la programmation pluriannuelle de l’énergie.
L’Agence de participation de l’État, la Direction du budget, la Direction générale de l’énergie et du climat, la Direction générale des entreprises et la Direction générale du Trésor.
Ces organisations ont élaboré quatre scénarios permettant de réaliser ce tour de force. Une « restitution » de leurs travaux a eu lieu en juillet dernier, synthétisés dans un document du Trésor daté du 1er septembre, que publie Contexte.
« Importante intervention de l’État »
Déjà nombreuses, les « contraintes » pesant sur l’électricien n’iront pas en s’arrangeant, notamment depuis le covid-19, écrit le Trésor, qui n’a pas souhaité faire de commentaires.
« Réalisées sous la responsabilité d’EDF », ces simulations financières prévoient « des flux de trésorerie post-dividendes négatifs jusqu’en 2029 », et un « endettement passant de 41,1 milliards d’euros en 2019 à 56,9 milliards d’euros en 2028 ».
L’État devra donc mettre au pot.
La « capacité d’endettement additionnel du groupe très contrainte (…) rend nécessaire une importante intervention de l’État », indique le texte.
Et la notation financière d’EDF, partie pour se dégrader, limite « sa capacité à être exposée aux risques de construction ». Aussi le groupe de travail a-t-il fixé un « plafond à 30 % des coûts de construction du devis de base ».
Avant-goût du nouveau modèle d’EPR présenté mi-2021
Le Trésor donne un avant-goût du programme de travail, requis par la programmation pluriannuelle de l’énergie, que doit élaborer le gouvernement avec la filière d’ici à la mi-2021 pour permettre de décider, ou non, de la construction de trois paires d’EPR.
Ces installations seront « mises en service » dans un laps de temps de neuf ans, « en 2035-36, 2039-40 et 2043-44 ». La construction de chaque paire d’EPR s’étalerait sur une durée de douze ans. Soit, respectivement, de 2024 à 2036, puis de 2028 à 2040, et de 2032 à 2044.
Leur réalisation est estimée à 47,2 milliards d’euros. Le chiffre provient d’un audit confidentiel du cabinet Roland Berger, cité dans le document, remis fin 2019 à la DGEC et à l’APE, et dont il est une hypothèse « centrale », indique à Contexte l’une des rares personnes à l’avoir consulté.
Dans son document, le Trésor chiffre à 16,4 milliards d’euros le coût de la première paire d’EPR, à 15,9 milliards d’euros le coût de la deuxième, et à 14,9 milliards d’euros celui de la troisième.
Seule cette dernière paire serait majoritairement financée (61 %) par EDF. Au total, l’État prendrait à sa charge la majorité (54 %) des six installations. La rémunération de l’électricien, « qui sera discutée avec la Commission européenne », passerait par un tarif d’achat garanti de l’électricité produite, dit « contrat pour différence » (CFD).
Trois scénarios de partage des surcoûts
Compte tenu de cet état des lieux, plusieurs scénarios de partage des surcoûts de construction sont à l’étude, « ayant tous en commun le plafonnement de l’exposition financière d’EDF ».
Au-delà de 30 % de surcoût par rapport au devis de base, situation jugée « très peu probable » par l’audit Roland Berger, c’est l’État qui financerait la quasi-intégralité du dépassement.
En dessous du plafond de 30 %, trois scénarios sont sur la table. Tous s’inscrivent « dans le modèle économique actuel d’EDF ».
Le scénario 1 « limite fortement l’exposition financière d’EDF », car il prévoit un partage des surcoûts à parité entre l’électricien et l’État. En contrepartie, le niveau de prix moyen du CFD est fixé à 51 euros par MWh, un niveau plus faible que pour les deux autres scénarios.
Les scénarios 2 et 3 sont « plus responsabilisants pour EDF », mais aussi plus incitatifs. Ils prévoient tous deux une prise en charge intégrale par l’entreprise des surcoûts en dessous du plafond de 30 %, mais se distinguent sur le niveau de rémunération des surcoûts. In fine, ils conduisent tous deux à un niveau de prix moyen du CFD supérieur au premier scénario : entre 51 et 56 euros par MWh pour le scénario 2, et égal à 56 euros par MWh pour le scénario 3.
Un quatrième scénario « alternatif »
La piste d’un financement intégral par l’État du devis de base est également à l’étude, mais à un stade moins évolué, dans le cadre d’un quatrième scénario « alternatif ». Son coût pour les finances publiques serait « nettement plus important » à court terme, mais serait « compensé » sur la durée du programme par un « faible » CFD, à 33 euros par MWh.
Ce scénario implique un changement de modèle économique d’EDF qui passerait ainsi « d’investisseur-exploitant à un rôle de constructeur-exploitant ». Les questions actuelles liées à la restructuration du groupe dans le cadre du projet Hercule, et à la négociation entre l’État et Bruxelles sur la nouvelle régulation du nucléaire existant, restent néanmoins absentes du document du Trésor.
« Cette décorrélation fait plutôt sens, administrativement », selon un habitué de ces arcanes. « Cloisonner la réflexion sur les sujets permet d’éviter les fuites. »
Le document de la DG Trésor « ne rend compte que d’une information parcellaire, qui ne résume pas l’ensemble des questions sur ce sujet-là », selon une autre source.
Seul écho à la réforme de la régulation nucléaire en cours : l’administration s’interroge sur la « robustesse » de ce scénario de financement intégral par l’État, au regard des règles européennes sur les aides d’État.
Elle se pose aussi la question de la préservation de l’intégration des rôles de « propriétaire et d’exploitant nucléaire, responsable de la sûreté et interlocuteur de l’ASN », gendarme du nucléaire, dans un tel modèle.
« Deux solutions sur la table »
Sur ce quatrième scénario comme sur le reste, les travaux se poursuivent, comme l’indique le compte rendu du Trésor.
En se quittant au mois de juillet, EDF et les administrations impliquées se sont donné six mois pour « approfondir » la piste d’une prise en charge à 100 % de l’État, pour « saisir l’Insee sur les conséquences en compatibilité nationale du financement et de la régulation » ou pour réfléchir au financement des premiers jalons du – possible – futur programme nucléaire, en 2022-2023.
En clair, l’État prépare sa feuille de route, qui pourra être opportunément sortie du tiroir si le prochain exécutif choisit l’option nucléaire. Tout en assurant étudier en parallèle un scénario 100 % renouvelable en 2050.
Le cabinet de Barbara Pompili et celui de Bruno Le Maire, à Bercy, n’ont pas répondu aux sollicitations de Contexte. EDF, pour sa part, n’a pas souhaité faire de commentaires.
Le document.